Chalencon – Ardèche -27 & 28 Septembre 2014
Deux douzaines de « marcheurs-auditeurs » se sont retrouvées sous un soleil radieux dans le village de Chalencon entre Vivarais et Boutières, pour cheminer en compagnie d’Emmanuelle Pagano qui nous a lu sa sélection de textes sur les sentiers qui conduisent à la Vallée de l’Eyrieux.
Née dans l’Aveyron, Emmanuelle Pagano qui a été enseignante en arts plastiques, vit et travaille sur le plateau ardéchois. Son premier livre sera Pour être chez moi, paru en 2002 aux éditions du Rouergue. En ce début d’automne, elle revenait de la Villa Médicis de Rome. En tant que pensionnaire elle a notamment pu se consacrer à l’écriture d’un texte à propos d’un châle en soie de mer acquis par le musée des Confluences de Lyon à une famille de la Côte Ligure et à l’écriture du premier tome d’une « Trilogie des rives » (Ligne & fils, qui sera publié chez P.O.L. en février 2015), dont elle nous a lu des extraits durant ces deux jours, nous conduisant au fil de la rivière et des moulinages.
Sur la place du village E. PAGANO nous proposa la lecture de Les Mots des gorges, nouvelle tirée du recueil, Un renard à mains nues [P.O.L., 2012]. Evoquant des marches avec un homme absent, la narratrice rend compte des interférences du désamour sur fond de commérages de nageurs qui emplissent les berges de la rivière. Apres une descente caillouteuse, nous rejoignons l’ancienne voie ferrée qui longe l’Eyrieux. Là l’auteur nous lit un extrait des Eaux étroites de Julien Gracq [José Corti, 1976]. Nous naviguons alors dans une barque sur le lit profond d’une petite rivière étroite s’étalant entre les prés des Pays de Loire. Entre saules et nymphéas, grenouilles et martin-pêcheurs, nous atteignons l’étrange bateau lavoir d’un château surmonté de son dais.
Nous poursuivons à pied cette voie d’initiation jusqu’au Pont de Chervil pour piqueniquer à l’ancienne gare. C’est là que nous attendaient la magie des enfants de la société des asphaltes, autre nouvelle extraite du Renard à mains nues. Une usine jamais utilisée près d’un lieu de baignade, devient le théâtre de rencontres improbables entre des femmes, leurs mini chiens, des enfants et des gitans.
Remontant le GR 420, nous y rencontrons deux garçons orgueilleux, deux femmes décalées par-dessus le pont-canal, nouvelle extraite d’un renard à mains nues et composée à partir d’images du canal de l’Orb à Béziers et de Pont d’Aubenas. Pour Emmanuelle Pagano écrire, c’est mélanger, accoler des histoires, écouter les gens puis faire des collages. La fiction vient de ce travail de tricotage.
En poursuivant notre remontée vers Chalencon, nous jouissons d’un Bain extrait de l’Histoire d’un ruisseau d’Elisée Reclus [Babel, 2005]. Ce texte publié à Paris en 1869 est une méditation morale et poétique où transparaît la vision du monde du géographe anarchiste : la contemplation de la nature, de sa liberté nous incitent à renoncer à l’obéissance passive et aux jeux de rôles en nous dépouillant de nos oripeaux le temps d’un moment de paix.
En soirée, Emmanuelle nous propose un extrait de l’Absence d’oiseaux d’eau [P.O.L., 2010]. La narratrice dans un style charnel utilise la métaphore de la rivière pour nous parler du corps de l’homme. C’est l’érotique d’un amour qui glisse, coule échappe au fil d’une correspondance. Nous serpentons dans ce flux qui les dépasse vers un lieu, maison ou livre, où les protagonistes pourraient se tenir à deux.
La dimanche nouera une boucle à travers champs et châtaigneraies par le GR 420 jusqu’à l’oppidum gallo-romain qui domine Chalencon.
Un extrait de Traversée de Marie-Hélène Lafon [Créaphis, 2013] nous conduit jusqu’à la Santoire, un affluent de la Dordogne dont le lit court dans un paysage bourru du Cantal et se cache parfois aux regards. Emmanuelle Pagano lit ensuite par trois extraits de Ligne et Fils [P.O.L. à paraitre 2015] une histoire de ligne et de lignée extraite des archives sédimentées par la rivière. Un orphelin arrive dans la fabrique où les béalières domestiquent les forces de l’eau qui seront transformées en soie. Ces eaux domestiquées nécessitent la surveillance de la tenue des levées par un grand-père qui se nettoie lui-même tout autant qu’il prend soin des prises d’eau.
Emmanuelle Pagano nous confie que dans ce récit à la première personne, elle combine un travail de repérage et de recherche avec son empathie. Aller sur les lieux pour s’en imprégner, se documenter pour élaborer d’autres propositions de significations que celles d’un scientifique, telle est sa conception du métier d’écrivain. Pour comprendre la rivière, il faut s’y immerger corps et esprit, depuis la source jusqu’aux lignes des pécheurs.
Nous achèverons ce week-end au bord de la Baume où nous retrouverons l’écrivain enfant avec sa mère sur une carte postale ancienne. Par moment l’eau disparait de la rivière tel un fantôme. Il fait soif partout dans la vallée. La nuit, une martre nage au milieu de l’eau noire de la rivière. Sensation du lecteur auditeur d’être dilué pour son plus grand plaisir. Ennoyées au fond du lac du Salagou (Hérault), se tiennent des œuvres de pierre sur lesquelles des hommes, des brebis sont passées. Elles revivent dans la mémoire de la narratrice qui les assemble comme les clichés des appareils photo de son enfance.
Bibliographie :
Emmanuelle PAGANO
• Ligne & Fils, premier volume de la Trilogie des rives, à paraître en 2015, POL
• En Cheveux, coédition Musée des Confluences- Invenit, 2014.
• Un renard à mains nues, P.O.L., 2012
• L’Absence d’oiseaux d’eau, P.O.L., 2010
Marie-Hélène LAFON, Traversée, Créaphis, 2013
Julien GRACQ, Les Eaux Etroites, José Corti, 1976
Elisée RECLUS, Histoire d’un ruisseau, Nouvelle Edition, Actes Sud, 2005
L’actualité d’Emmanuelle PAGANO : http://emmanuellepagano.wordpress.com/